La nouvelle aventure
Les contes de Pennymaker (Tome 4)
Wendell Darling, surnommé Wen, mène une vie cousue de responsabilités toutes plus lourdes les unes que les autres. Abandonné par son père, un comptable insensible, et par sa mère, une artiste à l’esprit fragile, il est contraint de subvenir aux besoins de son frère et de sa sœur. Il n’a d’autre choix que de brimer sa créativité en s’échinant soixante-dix heures par semaine dans une agence de communication au sein de laquelle son supérieur, un homme incompétent, s’attribue sans aucun scrupule, tous les mérites de son travail.
Le jour où l’agence manque de perdre l’un de ses plus gros clients, Wen a enfin l’occasion de sortir de l’ombre et de prouver sa valeur, mais pour cela, il faut d’abord qu’il retrouve le mystérieux artiste qui a réalisé la gigantesque et incroyable fresque en graffiti dans le métro.
Dissimulé derrière un pilier à deux heures du matin, Wen se retrouve nez à nez avec l’étrange peintre et leader du groupe les Lost Boys, Peter Panachek. Peter est le parfait opposé de Wen. Il arbore une chevelure rouge écarlate, une physionomie androgyne, quasi elfique, et vit sa vie au jour le jour sans se soucier des conséquences. La personnalité grave et sérieuse de Wen le fait rire, mais ne dit-on pas que les opposés s’attirent ? Les deux jeunes hommes oscillent continuellement entre caresses et disputes, mais il devient très vite évident que l’attitude désinvolte de Peter n’est qu’une armure qui dissimule un nombre incalculable de peurs et de secrets trop bien gardés.
Puis, survient Vadon Hooker, un dealer de drogue qui menace de mettre en danger tout ce qui est cher à Wen. Aidé de l’énigmatique Monsieur Pennymaker, Peter va devoir choisir entre faire face à ses responsabilités, ou bien s’enfoncer toujours plus loin au cœur du Pays Imaginaire…
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Publié le 31 juillet, 2018
Dreamspinner Press
70,645 mots
230 pages
Les formats
eBook (ISBN 978-1-64080-947-5)
Livre de poche (ISBN 978-1-64080-948-2)
Illustration de couverture: Reese Dante
Traductrice: Laura Brohan
Traduction de Never by Tara Lain
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Extrait
C’ÉTAIT UNE véritable catastrophe. À ce rythme-là, il pouvait dire adieu à sa promotion. Il pouvait même dire adieu à son salaire.
Wen entrelaça férocement les doigts de ses deux mains sous la table de la salle de réunion, et afficha un sourire forcé. Il regarda défiler les images de la vidéo de leur dernière campagne de publicité : un couple de jeunes gens séduisants, accompagné de leur adorable progéniture, était en train de manger du beurre de cacahuète. Ils étaient tous blancs et blonds, bien entendu, le tout sur un fond de musique rap édulcoré, dans une vaine tentative d’être « dans le coup ». Wen jeta un regard anxieux à leur client qui fronçait les sourcils, et se retint tout juste de soupirer.
Graham Henderson, le PDG de Comfort Foods, autrement dit leur plus gros client, désigna l’écran d’un geste agacé du poignet, en secouant la tête.
— Je suis désolé, mais ça n’est pas du tout ce que j’attendais. Je vous ai commandé quelque chose de nouveau, de différent et vous me proposez les mêmes clichés prémâchés qu’on voit partout. J’ai l’impression d’avoir déjà vu exactement la même publicité des milliers de fois. Je veux que notre société se détache du lot, et si vous n’êtes pas fichu de nous y aider, je n’hésiterai pas une seule seconde avant de changer d’agence de communication.
Henderson se leva de sa chaise et récupéra son bloc-notes. Mark Allworth, le directeur de l’agence, bondit sur ses pieds.
— Vous êtes chez nous depuis plus de deux ans, Graham, et vous avez toujours été satisfait de notre travail.
Henderson parcourut du regard l’équipe assise tout autour de la table.
— Il faut croire que je suis devenu plus exigeant et que vous vous êtes reposés sur vos lauriers. J’exige quelque chose de révolutionnaire, Mark, sans quoi, mes cinq millions de dollars et moi irons chercher ailleurs.
Mark le suivit nerveusement jusqu’à la porte de la salle de réunion, jeta un regard mauvais au reste de l’équipe par-dessus son épaule, puis ils quittèrent la pièce sans un mot de plus.
Un silence assourdissant retomba sur la pièce, comme une onde de choc. Ils échangèrent tous des regards de malaise, avant de baisser les yeux vers le sol. Ils avaient tous espéré que cette proposition réussirait à convaincre leur client. Ils n’y avaient pas vraiment cru, mais ils avaient espéré.
Arnie Borsinski, le responsable de la création sur ce projet, gronda d’une voix bourrue à l’attention de son équipe :
— Tout le monde retourne à son bureau.
Arnie avait toutes les raisons du monde d’être inquiet. Cela faisait des mois qu’il faisait les yeux doux au poste de directeur de création de l’agence, mais s’ils perdaient le dossier Comfort Foods, la promotion lui passerait sous le nez. Wen était son assistant, et il avait le droit à tous les inconvénients du poste, sans aucun avantage. Une fois encore, Arnie allait sans doute trouver le moyen de l’accuser de cet échec.
Laila, la directrice artistique et la collègue préférée de Wen, marmonna à voix basse :
— Est-ce que je peux aller acheter une bouteille de whisky avant de retourner à mon bureau ?
— À une seule condition, tu m’en prends une au passage, répondit Wen entre ses dents.
Il se leva et reboutonna sa veste de costume. Très peu de gens portaient un costume au sein de l’équipe artistique, mais il mettait toutes les chances de son côté pour avoir l’air le plus adulte possible. Entre ses boucles blondes et ses grands yeux bleus, il savait qu’il ressemblait à un enfant de chœur à peine majeur, ce qui rendait parfois les choses compliquées pour être pris au sérieux.
Laila et lui quittèrent la salle de réunion pour rejoindre le département artistique. Elle tourna les yeux vers lui.
— Tu lui avais dit que ça ne fonctionnerait pas, que ce n’était pas assez solide, mais Arnie a refusé d’écouter. Mark devrait te confier le projet Comfort Food.
— Je ne sais même pas si j’en voudrais, répondit Wen en secouant la tête. Henderson est tellement déçu, il faudrait un miracle pour le reconquérir. J’ai bien peur qu’on ait perdu notre plus gros client.
Wen tenta de garder un air nonchalant en prononçant ses mots, mais il sentit son estomac se nouer. Lorsque la nouvelle se répandrait qu’ils avaient perdu le contrat Comfort Food, ils seraient la risée de la profession.
— Arnie va tout faire pour sauver sa peau, quitte à sacrifier le reste de l’équipe.
— Oh non, pas toute l’équipe. Seulement moi, je pense.
Ils franchirent les portes du département, et regagnèrent leurs bureaux en essayant de se faire tout petits. Comme si ça pouvait changer quelque chose à la situation.
À peine cinq secondes plus tard, la voix tonitruante d’Arnie retentit dans l’open-space.
— Tout le monde en salle de brainstorming ! Et prenez vos cerveaux avec vous pour une fois !
Wen poussa un long soupir. Il n’était pas certain qu’Arnie reconnaîtrait un cerveau s’il en croisait un. Il prit son PC portable avec lui, et se dirigea vers la grande salle, sous les regards compatissants des autres membres du département qui ne travaillaient pas sur le dossier Comfort Food, et qui remerciaient le ciel de ne pas avoir à travailler pour Borsinski.
Au moment où il franchissait le seuil de la salle, son portable vibra dans sa poche. Ce n’était pas le moment idéal. Il jeta un coup d’œil discret à l’écran. C’était Michaela. Il ne pouvait pas ignorer un appel de sa petite sœur.
— Michaela ? Est-ce que tout va bien ?
— Je voulais juste savoir si tu rentrais dîner ce soir.
Il laissa échapper un long souffle de fatigue. Il avait l’impression de passer son temps à la décevoir dernièrement.
— Je suis désolé. J’ai été retenu au travail, je risque encore de rentrer tard.
— Je fais des pâtes et des brocolis.
Le ton de sa voix sonnait faux, comme si elle se forçait à avoir l’air enjouée.
— Je regrette de manquer ça, dit-il d’une voix tendre. Mais j’en connais un à qui ça va faire très plaisir.
— Bon… à demain alors ?
— Sans faute. Et tu sais quoi, si on allait au ciné ce week-end ?
— Oui, c’est une bonne idée. D’accord.
Elle ne le croyait pas. Et il ne pouvait pas la blâmer. Depuis qu’il travaillait chez Allworth Communications, les week-ends étaient devenus d’autres jours de travail comme les autres. Bien trop souvent, Michaela se retrouvait toute seule à s’occuper du petit John. C’était une lourde responsabilité pour une adolescente de seize ans.
Wendell releva la tête et croisa le regard pincé d’Arnie Borsinski, puis l’expression terrifiée du reste de l’équipe, déjà installé dans la salle.
— Il faut que j’y aille, ma belle.
Elle soupira et un étau de culpabilité se resserra autour du cœur de Wen. Il raccrocha, et prit place sur la dernière chaise libre, juste à côté d’Arnie.
— Dis-le-nous si on te dérange, Darling, lança Arnie sur un ton sardonique en tapotant avec impatience sur sa tablette avec son stylet.
Le nom de famille à l’eau de rose de Wendell n’était pas tous les jours facile à porter. Et, malheureusement pour lui, il avait le physique du jeune premier pour aller parfaitement avec.
— Je suis désolé. C’était ma petite sœur, expliqua-t-il en accrochant sa veste sur le dossier de sa chaise.
Arnie le dévisagea des pieds à la tête avec un regard de dédain. C’était aussi ironique que désagréable, venant de quelqu’un qui ne portait jamais que des cols roulés à la Steve Jobs, alors qu’il n’avait pratiquement pas de cou.
— Tu permets qu’on se remette au travail ? demanda Arnie sur un ton faussement mielleux, avant de se tourner vers le reste de leur tablée pour s’adresser à tout le monde : Mark vient de m’annoncer que le client était prêt à nous donner une seconde chance, dans la mesure où il a toujours travaillé avec nous. Il va quand même commencer à prospecter auprès de la concurrence, mais il est ouvert à toute nouvelle proposition de notre part. Non pas que ça change grand-chose, puisqu’il semblerait que cet imbécile ait des goûts de chiotte, ajouta-t-il en grimaçant.
— Pourquoi pas un dessin animé ? proposa Jersey, l’un des directeurs artistiques. Un chien qui se retrouverait avec du beurre de cacahuète collé au palais ? Ça pourrait être amusant.
— Et comment on atteint le public cible de notre client avec ça ? demanda Norris, le gestionnaire de comptes.
— On pourrait plutôt essayer avec un vrai chien, suggéra Lila. Ça attirerait l’attention des générations Y et Z.
— Darling, des idées ? demanda Arnie en se tournant vers lui.
Wen rassembla tout son calme et son courage.
— Je pense qu’il nous faut quelque chose de complètement différent. Quelque chose de jamais vu.
— Si c’est du jamais vu, comment est-on censé le concevoir ? demanda sèchement Arnie en attrapant le gobelet en plastique rempli d’eau devant lui pour le lancer à travers la pièce, arrosant plusieurs personnes au passage.
Wen contracta les muscles de sa mâchoire, et sortit un mouchoir de sa poche pour le tendre à la jeune femme qui s’occupait des réseaux sociaux et qui avait les cheveux à moitié trempés.
— Il faut que nous trouvions un artiste avec un style unique et reconnaissable, quelqu’un qui sera capable de nous proposer quelque chose d’accrocheur, de novateur. Avec ça, nous pourrions offrir au beurre de cacahuète une nouvelle renommée et une toute nouvelle vie.
— Comme si on avait le temps !
— C’est bien pour ça que je propose d’agir vite. Je ne pense pas que nous parviendrons à proposer quoi que ce soit de satisfaisant au client sans un nouvel artiste. Quelqu’un qui ne s’est pas encore fait un nom, expliqua Wen en regardant ses collègues un à un. Cherchez un artiste émergeant, un talent tout neuf.
Arnie serra les doigts autour des bras de son fauteuil, puis se leva brusquement et quitta la salle en marmonnant.
— Pire qu’une chasse au dahu, n’importe quoi. La campagne qu’on leur a proposée ce matin était parfaite.
Tout le monde le regarda sortir sans un mot. C’était typique d’Arnie : quitter le navire au moment de prendre les décisions importantes, et revenir lorsque quelque chose ne va pas pour pointer un coupable du doigt.
— Tu nous conseilles de commencer à chercher, Wen ? demanda finalement Laila.
— Et sans trop tarder, acquiesça -t-il.
Ils quittèrent tous la salle, mus par la motivation d’avoir enfin une direction à suivre pour sauver leur campagne. Quatre heures plus tard, Wen éteignait enfin sa lampe de bureau, plongeant l’open-space tout entier dans l’obscurité. L’équipe artistique avait passé la majorité de la soirée à lui proposer le travail de différents artistes qu’ils avaient dénichés. Certains d’entre eux étaient plutôt bons, talentueux même, mais aucun d’entre eux ne l’avait époustouflé ou laissé croire à la renaissance du beurre de cacahuète. Peut-être qu’il avait mis la barre trop haut. Il avait une sale tendance à faire ça tout le temps, pour tout.
Il était déjà 21 h passé, il était trop tard pour dîner avec les enfants, mais s’il se dépêchait, il pourrait peut-être vérifier leurs devoirs. Il ferma à clé les portes du département derrière lui, et passa devant l’immense bureau qui occupait presque tout le douzième étage. Il y avait encore de la lumière. Il posa son attaché-case sur le comptoir de l’accueil, et enfila son trench-coat. La météo avait annoncé de la pluie pour la soirée. Il n’avait pas vraiment pu vérifier depuis le box de son bureau, et de toute façon, il n’avait pas levé les yeux de son écran depuis des heures.
— Wendell, appela une voix sur sa gauche.
Wen se tourna et réprima une inspiration choquée.
— Bonsoir Mark.
Ce n’était pas tous les soirs que l’on croisait le PDG de l’agence.
— Vous avez une minute ?
— Bien sûr.
Il suivit Mark dans son bureau en pensant à John et Michaela, qui l’attendaient à la maison.
Mark désigna d’un geste de la main le fauteuil vide en face de son bureau, et Wen y prit place.
Mark passa une main sur son visage fatigué. Il avait les traits tombants, il faisait penser à un basset, et il portait perpétuellement cette étrange expression qui lui donnait l’air à la fois intelligent et sincère.
— Café ? demanda-t-il gentiment.
— C’est très gentil, mais une goutte de plus aujourd’hui, et je vais passer en groupe sanguin Arabica positif.
— Que s’est-il passé avec le dossier Comfort Food aujourd’hui ?
Droit au but.
— Oh, et bien… exactement ce que vous avez vu, je suppose. Nous avons sous-estimé l’envie de changement du client.
— Pas de langue de bois avec moi, Wendell.
— Trop de propositions faiblardes qui se ressemblent toutes.
— Pourquoi ? Et, à cause de qui ?
— Nous sommes une équipe, monsieur. Je ne vais pas vous donner de nom.
— Vous réalisez qu’Arnie n’hésiterait pas une seule seconde à vous désigner comme seul responsable ? demanda Mark en s’appuyant contre son bureau.
Ce ne serait ni la première, ni la dernière fois. Wen prit une grande inspiration, prêt à recevoir le discours d’un licenciement en bonne et due forme.
— Je ne contrôle pas les faits et gestes d’Arnie. Malheureusement, il peut faire ce qu’il veut.
— Pas dans mon agence, non. J’ai eu l’occasion de parler avec lui, mais également avec tous les autres membres de votre équipe. Disons simplement que leurs versions ne s’accordaient pas vraiment. Tout le monde a affirmé que vous aviez tout fait pour mener la campagne dans une direction plus novatrice, mais qu’Arnie n’a rien voulu entendre.
— C’est un peu facile de pointer du doigt après coup. Si la campagne avait plu au client, tout le monde vous aurait dit que j’étais un imbécile à vouloir lui donner une autre direction.
— Mais il s’avère que le client n’a pas du tout aimé la campagne, lui rappela Mark.
— Je sais.
— Et pourtant, vous n’avez pas l’air surpris du tout.
Wen ne dit rien.
— Je vous ai observé pendant la présentation.
Il resta obstinément silencieux.
Mark soupira, et contourna son bureau pour se laisser lourdement tomber dans son fauteuil.
— Si nous avions fait ne serait-ce qu’un petit effort sur cette campagne, Henderson nous aurait donné une seconde chance sans nous faire l’affront d’aller voir la concurrence. Mais dans l’état actuel des choses, je sais qu’il a déjà contacté Wellington.
— Rude compétition, répondit Wen en grimaçant.
— C’est le moins qu’on puisse dire. Nous n’avons pas le droit à l’erreur si nous voulons convaincre Henderson de revenir. Il nous faut nous surpasser. Toutes les agences de pub du pays vont vouloir se jeter sur ce dossier.
Cet homme avait un don pour énoncer les problèmes de la façon la plus claire et terrifiante possible.
— Je compte sur vous, Wendell.
— J’en suis conscient, monsieur.
— Je n’en suis pas si sûr. Je compte vraiment sur vous.
Wen secoua la tête en soupirant, sans même essayer de masquer sa lassitude.
— Arnie nous fait déjà travailler plus de quatorze heures par jour. J’ai une famille, je ne peux pas les abandonner.
— Une famille ? répéta Mark, étonné. Je croyais que vous étiez gay.
— C’est le cas. Mais j’élève mon frère et ma sœur. Ils ont onze et seize ans seulement, ils ont encore besoin qu’on s’occupe d’eux. Et vous savez, être gay n’exclut pas d’avoir une famille, ajouta-t-il en haussant un sourcil et en souriant.
— Vous avez raison, je suis désolé. Vous êtes toujours tellement… sérieux. J’ai tiré des conclusions hâtives, j’ai cru que vous n’étiez marié qu’à votre travail.
— Ah, non. J’ai bien peur que vous ayez raison sur ce sujet.
— Écoutez Wendell, je vais être parfaitement honnête avec vous. Arnie a des clients très fidèles, mais Henderson n’en fait pas partie. Je ne peux pas prendre trop de liberté, surtout si on finit par perdre le dossier Comfort Food, mais je vais lui demander de vous céder la direction de ce projet. Voyons si vous êtes capable de le sauver.
— Je… Vous réalisez que c’est terriblement compromis ? Henderson pense que nous sommes incapables de créer quoi que ce soit d’original. Les chances ne sont pas vraiment de mon côté.
— Et pourtant, je vous les donne. Si je ne croyais pas en vous, je me contenterais de laisser Arnie Borsinski se débrouiller avec cette histoire.
— J’imagine, répondit Wen, dubitatif.
Mark se releva. C’était la fin de ce petit entretien.
— Haut les cœurs, Wendell. Si on tournait un film, ce serait le moment où la doublure a l’occasion de passer sous les projecteurs et de s’attirer l’amour du public et des critiques.
Wen répondit par un maigre sourire.
— Je suis sûr que vous avez ce qu’il faut, dit-il en tapant d’une main enthousiaste sur son bureau.
Wen étudia attentivement son visage. C’était un mensonge éhonté. Il ne voulait tout simplement pas qu’Arnie, l’enfant chéri de l’agence, porte un échec de cette envergure.
— Merci pour cette occasion. Je tâcherais de ne pas vous décevoir.
Wen quitta le bureau avec la sensation désagréable qu’il allait se prendre un couteau dans le dos dans les jours à venir.
Une fois dans l’ascenseur, il s’appuya contre le mur du fond. Est-ce qu’il était victime d’un coup monté ? Est-ce qu’on allait lui faire porter le chapeau pour le fiasco du dossier Comfort Food ? Il ne doutait pas un instant que Mark tienne à garder Henderson, après tout c’était son plus gros client. Mais il devait également être conscient de l’état de la situation, et quitte à perdre la face, ce serait beaucoup moins scandaleux d’accuser l’assistant du responsable de la création.
Arrivé au rez-de-chaussée, Wen traversa le grand hall marbré de l’immeuble, et poussa la porte-tambour pour retrouver l’air tiède de l’extérieur. Il ne pleuvait pas, mais l’humidité ambiante était si dense qu’il était presque difficile de respirer. Les phares des voitures se reflétaient sur la route mouillée. Wen retira son trench-coat et s’engouffra dans la bouche de métro. À cette heure-ci, John serait déjà couché, mais peut-être qu’il réussirait à croiser Michaela.
Sur le quai du métro, il observa en silence les gens aux mines fatiguées qui rentraient eux aussi du travail. Il se passa une main sur la nuque pour tenter de dénouer ses cervicales, et aperçut une place libre sur un banc, à côté d’une jeune femme qui avait l’air d’une œuvre d’art à elle toute seule.
Il frissonna malgré lui, et songea à leur mère pendant ses derniers jours. Elle avait depuis longtemps franchi le stade de l’excentricité pour entrer à pieds joints dans la folie pure. La jeune femme sur le banc portait un tutu vert et un caleçon à rayures, des bretelles rouges, et elle tenait une ombrelle au-dessus de sa tête. Elle avait une coupe afro d’un rose vif.
Wen n’avait pas besoin de payer un psy pour s’entendre dire qu’il avait un rapport complexe avec les gens qui lui rappelaient sa mère. Et par complexe, il entendait essentiellement haineux. Sa mère s’était montrée parfaitement incapable de les élever. Dans ses jours les plus généreux, Wen voulait bien admettre qu’il tenait peut-être d’elle sa créativité. Une chose était certaine, il ne la tenait pas de son ennuyeux comptable de père. Wen baissa les yeux vers ses chaussures, enfonça la tête dans les épaules, et marcha d’un pas ferme vers le banc pour aller s’asseoir.
Il croisa brièvement le regard de la jeune femme à l’ombrelle, puis elle détourna les yeux et s’écarta légèrement de lui. Oh, visiblement elle avait peur que son conventionnalisme déteigne sur elle.
Wen ferma les yeux et se pinça l’arête du nez. Comment allait-il s’en sortir ? Bien souvent, être anonyme signifiait aussi être protégé, et Mark venait de lui faire perdre son anonymat. L’équipe venait de passer un après-midi tout entier à lui soumettre des propositions artistiques, mais il n’avait toujours rien. En tout cas, rien qui ne soit à la hauteur des attentes d’Henderson.
Wen s’appuya contre le mur, et un morceau de métal cassé qui dépassait du banc s’enfonça dans son dos. Il sursauta, se retourna, et leva lentement les yeux, ébahi.
Juste là, sur le mur derrière le banc, c’était exactement ce qu’il cherchait. Un brasier flamboyant, des nuées d’oiseaux en vol, des montagnes en explosion et des planètes en collision remplissaient l’intégralité du mur. De la créativité à l’état pur jusqu’aux quatre coins de ce pan de mur, dans une magnifique fresque réalisée par un De Vinci anonyme qui avait le potentiel de changer le monde. Ou du moins, de changer celui de Wen.
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