Beauty, Inc. (Français)

Les contes de Pennymaker (Tome 3)

a beauté se limite-t-elle à notre apparence extérieure ?

Le docteur Robert Belleterre, surnommé Belle, a trois grandes passions dans la vie : les plantes, sa meilleure amie, Judy, et son “bébé” : un projet de nouvelle crème pour le visage qu’il a mis au point afin d’aider au développement du petit commerce de cosmétiques de son père.

Malheureusement pour lui, son père est un alcoolique notoire, accro aux jeux, et après une fatidique partie de poker durant laquelle il a parié son propre fils, Belle se retrouve à la merci de Magnus Strong, le PDG de Beauty Inc., la plus grande société de cosmétiques des États-Unis. Magnus Strong est réputé pour son apparence effroyable et son visage couvert de cicatrices, plus proche de la bête que de l’homme.

Du jour au lendemain, Belle est arraché à sa propre vie, et enfermé dans le gigantesque appartement d’un certain monsieur Pennymaker, un endroit à la décoration ahurissante. Très vite, et malgré lui, Belle développe une attirance incontrôlable pour le charismatique Magnus Strong. Révolté par ses propres sentiments, il les refoule avec force, mais plus le temps passe, et plus la bonté et l’humilité de Magnus lui font oublier son terrible visage. Et lorsque la famille de Belle décide contre toute attente de venir mettre son nez dans cette affaire, le destin se retourne contre lui et menace de faire voler en éclats le bonheur fragile qu’il a cousu avec sa tendre bête…

Les formats: eBook, Livre de poche

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Publié le 27 février, 2018
Dreamspinner Press
66,644 mots
218 pages

Les formats
eBook (ISBN 978-1-64080-701-3)
Livre de poche (ISBN 978-1-64080-702-0)

Illustration de couverture: Reese Dante
Traductrice: Julie Bénazet
Traduction de Beauty, Inc. by Tara Lain

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Extrait

 

DR. ROBERT Belleterre, plus connu sous le nom de Belle, retint son souffle en versant une infime quantité de crème dans le creux de sa main gantée. Le nouveau flacon était à la fois élégant et pratique ; il possédait un système de fermeture hermétique, et une double paroi à la technologie unique qui permettait de réduire les impacts de l’oxygène sur les composants de la crème. Ou du moins, il l’espérait. L’avenir tout entier de sa famille reposait sur cette petite boîte en plastique.

La crème était dans son nouveau flacon depuis deux semaines, le laps de temps habituel après lequel même les crèmes de grandes marques commençaient à s’oxyder et à changer de couleur. Il observa attentivement la petite noisette de crème dans sa main sous la lumière puissante du laboratoire. Aussi blanche qu’au premier jour. Le cœur de Belle se mit à battre plus vite. Il approcha son visage pour la sentir. Et toujours aussi fraîche. Enfin, il prit un peu de crème entre le pouce et l’index de son autre main pour tester la texture. Elle s’étalait à la perfection. Le produit était lisse, onctueux, et riche. Avec un peu de chance, aussi riche que le deviendrait son père à la sortie de cette nouvelle crème.

— Je t’en supplie, dis-moi que ça a fonctionné, intervint Colin, le directeur du laboratoire de Bella Terra Cosmetics, en s’approchant.

Belle avait presque du mal à se retenir de sautiller sur place tellement il était excité.

— Tous les tests semblent indiquer que le flacon fonctionne parfaitement. Je t’enverrai des échantillons de la nouvelle formule dans son nouveau flacon avant la fin de la semaine, je veux d’abord l’examiner au microscope pour être sûr que rien n’a attaqué l’intégrité de la structure chimique du produit. Mais je dois admettre que ça se présente très bien, ajouta-t-il en riant.

— Tu penses qu’on sera dans les temps pour la convention ? demanda Colin en souriant.

— Vous pourrez emmener quelques échantillons avec vous à Las Vegas, pour les faire tester par les heureux clients triés sur le volet qui seront là-bas.

— C’est fantastique, Belle, tu as réussi !

Il entoura les épaules du jeune docteur d’un bras pour une brève étreinte, puis se mit à compter sur ses doigts :

— Réduction des rides et ridules, sans parabènes, sans conservateurs artificiels, et le flacon empêche la crème de s’oxyder. Tu viens de placer la barre très haut, les grandes marques vont avoir du mal à suivre. Même Beauty Inc.

Belle se dégagea gentiment de l’étreinte de son collègue.

— J’aurais préféré qu’on prenne le temps de faire les tests prouvant tous les avantages listés sur le paquet…

— Ton père est catégorique, répondit Colin en haussant les épaules, nous n’avons pas les moyens. Ne t’inquiète pas trop avec ça. Aussitôt que les premières clientes auront testé cette petite merveille, elles vont l’adorer, ce sera le test le plus efficace au monde. Directement sur le visage de la cliente. Je n’arrive toujours pas à réaliser tout ce que tu as fait en l’espace de quelques mois seulement, c’est un travail incroyable.

— Merci, Colin.

Il en avait perdu le sommeil et l’appétit, mais il s’était juré de tout faire pour que Bella Terra reste une société viable, au beau milieu de leurs gigantesques concurrents. Et il avait réussi, il détenait dans sa main une crème qui défiait les lois de la cosmétique, une crème qui allait révolutionner le marché.

— Belle.

Belle tourna la tête en direction de la porte du laboratoire, et aperçut le visage de son père, penché par la porte entrouverte. C’était sans doute la seule partie de son corps à entrer dans cette pièce depuis des mois. Depuis que Belle avait obtenu son doctorat, l’été précédent, Ron Belleterre n’avait plus manifesté le moindre signe d’intérêt pour la partie scientifique de la confection de ses produits. Ces derniers temps, les seules choses pour lesquelles il semblait nourrir de l’intérêt étaient l’alcool et les jetons de poker.

— Oui, papa ?

— Est-ce que je peux te parler un instant, s’il te plaît.

— Mets-la sous le microscope, dit-il en se retournant vers Colin. Je regarderai en revenant.

Il retira sa blouse blanche, l’accrocha sur une patère à côté de la porte, et suivit son père dans le couloir.

Rondell Belleterre était un homme de stature impressionnante, blond et séduisant. Il exsudait une énergie incroyable, mais en grande partie nerveuse. Et plus il vieillissait, plus la sérénité et la paix de l’esprit se faisaient rares chez lui. Belle s’inquiétait constamment pour sa santé.

— Tu voulais me parler, papa ?

— Dans mon bureau, répondit simplement Ron, en menant le chemin d’un pas rapide. Comment se passent les tests du nouveau packaging ? demanda-t-il en lançant un regard à son fils par-dessus son épaule.

— Plutôt bien. Je pense que nous avons atteint notre but.

— Je vais être honnête, Belle, tu as plutôt intérêt à avoir raison, parce que ce projet me coûte les yeux de la tête. Les ingrédients sont incroyablement onéreux, tes antioxydants à eux seuls menacent de me ruiner, et ces maudits nouveaux flacons qui sont plus difficiles à ouvrir qu’une prison de haute sécurité commencent sérieusement à m’inquiéter. Je ne suis pas Midas.

Belle se retint de soupirer.

— Cette crème va nous ouvrir les portes d’un tout nouveau marché. Il y a un nombre croissant de femmes refusant catégoriquement d’acheter des produits de beauté qui contiennent trop de composants chimiques. Avec le lancement de ce produit presque cent pour cent naturel, elles vont toutes accourir chez Bella Terra.

— J’espère pour toi, répondit son père en fronçant les sourcils. Pour une fois dans ma vie, j’aimerais que nos concurrents soient inquiets en regardant notre chiffre d’affaires, et pas l’inverse. Une entreprise comme Beauty Inc. ne sait même pas que nous existons.

Il ouvrit la porte de l’accueil d’un geste brusque, et fonça vers Hester, la secrétaire dont il ne pouvait soi-disant pas se passer.

— Faites venir Rusty et Rick, s’il vous plaît.

— Je crois qu’ils sont partis déjeuner, monsieur.

— Déjeuner ? répéta Ron en fronçant les sourcils. Mais il est dix heures quarante-cinq.

Elle le fixa sans rien dire, mais on pouvait clairement lire dans son regard que ce n’était pas la première fois qu’une telle chose se produisait.

— Laissez tomber, grommela Ron en passant devant elle avec démarche brusque, pour s’engouffrer dans la pièce juste derrière l’accueil.

Belle le suivit, et referma la porte derrière eux. Ron prit place dans le gigantesque fauteuil en cuir derrière son bureau, et lui indiqua l’une des chaises installées en face.

Un croquis du stand Bella Terra pour la convention Cosmétique était déroulé sur le bureau de son père.

— Tout le monde est prêt pour la convention ? s’enquit Belle en étudiant le dessin.

— C’est de ça que je voulais te parler.

— J’ai déjà prévenu Colin que vous pourrez emmener avec vous une petite quantité d’échantillons de la nouvelle crème pour les démonstrations privées.

Belle dut prendre une grande inspiration pour ne pas se laisser emporter par son enthousiasme.

— Cette fois-ci, nous y sommes, papa. Nous allons voler la vedette à tous les produits les plus populaires de Magnus Strong et de Beauty Inc.

— Encore faudrait-il que cette erreur de la nature remarque notre présence.

— Je doute que monsieur Strong en soit arrivé là où il est aujourd’hui en ignorant les progrès des petites entreprises montantes. Jamais nous n’aurons un commerce de leur envergure, Beauty Inc. est une entité titanesque, mais nous pouvons leur voler la vedette sur le marché de la crème antirides.

À ces mots, le regard de son père s’illumina. Belle soupira discrètement. Ron n’avait pas toujours été aussi obsédé par l’argent et la gloire. Mais ses addictions l’avaient peu à peu transformé, au grand désespoir de son fils.

— Je veux que tu viennes à la convention.

— Quoi ? Non, répondit aussitôt Belle en secouant la tête. Papa, tu sais que je n’aime pas ce genre d’événement, et le laboratoire a besoin de moi.

— Nous nous apprêtons à faire découvrir ton nouveau produit au grand public, personne ne le connaît aussi bien que toi.

— C’est Rusty qui s’occupe du marketing, rétorqua Belle en fronçant les sourcils. C’est son travail de savoir parler de nos produits.

— Mais Rusty n’est pas toi. Tu es passionné par ce que tu fais. Ta présence est indispensable. Colin se débrouillera très bien tout seul au labo. J’ai déjà tout réglé avec lui.

Le père de Belle lui tendit un exemplaire du magazine Forbes, sur la couverture duquel était photographié Magnus Strong. L’homme n’avait pas honte de son visage unique et inoubliable, il s’en servait au contraire pour la promotion de son entreprise. Une gigantesque cicatrice traversait son sourcil gauche, passait juste au-dessus de son œil, déformant légèrement sa paupière vers le bas. Une autre cicatrice barrait sa joue en dessous, et s’arrêtait à sa lèvre supérieure, figeant son visage dans une perpétuelle expression de rage, comme un animal qui s’apprête à grogner, les babines retroussées. Enfin, son nez cassé, entravé d’une énième cicatrice, lui donnait l’air d’un boxeur dangereux. La laideur à l’état pur, à la tête de la plus grande entreprise de beauté au monde. Ron se mit à rire.

— S’il y a bien quelqu’un qui sera capable d’apprivoiser ce monstre, c’est toi, mon garçon.

Belle détourna le regard.

 

 

DEUX HEURES plus tard, Belle était sur la balançoire dans son jardin, et il savourait. Il savourait l’air frais et pur contre sa peau, l’air frais qui emplissait ses poumons. Il savourait la verdure qui l’entourait de toutes parts, les arbres, les plantes, la mousse sur les rochers qui n’étaient jamais vraiment secs. Les gens de la région avaient tendance à se plaindre de la bruine incessante de l’Oregon. Mais pas Belle. Au contraire. Il aimait cette petite pluie fine et délicate. C’était ce qui faisait de cet endroit sa maison. Et il n’en changerait pour rien au monde. C’était à cet endroit même que l’inspiration lui était venue de créer sa nouvelle crème, son nouveau bébé.

— Hey, bébé.

Belle sourit. Combien de fois avait-il mis Judy en garde ? Un de ces jours, à force de rentrer sans frapper, elle finirait par le surprendre dans une folle partie de jambes en l’air sur la table du salon. Judy lui répondait invariablement qu’elle dégainerait aussitôt son téléphone, et qu’elle filmerait tout pour le poster sur Instagram. De toute façon, ces temps-ci, les occasions de parties de jambes en l’air se faisaient très rares dans la vie de Belle.

— Je suis là, dans le jardin.

Judy Brancoli, sa meilleure amie, apparut derrière la baie vitrée de la cuisine, et le rejoignit dans le jardin, son petit nez en trompette tourné vers le ciel, la langue tirée pour recueillir les fines gouttelettes qui tombaient.

— J’ai vu ta moto dans le garage, dit-elle en s’approchant de lui. Qu’est-ce que tu fais chez toi si tôt ?

Belle bascula la tête en arrière, le visage offert aux cieux gris, pour imiter son geste.

— Mon père vient de m’annoncer que je devais aller à Las Vegas avec eux demain pour la convention. Je suis rentré pour préparer mes valises.

Judy prit place sur le siège de balançoire libre à côté de lui.

— Oh, je vois. Session jardin d’urgence pour recharger les batteries avant le départ ?

Belle se mit à rire. Elle le connaissait trop bien.

— Il faut bien. Je vais devoir supporter le désert du Nevada pendant quatre jours très longs.

Elle glissa une boucle rousse derrière son oreille. Avec la pluie, elle frisait plus que jamais, tandis que ses cheveux à lui étaient raides, et plaqués contre son crâne. Des mèches blond platine tombaient devant ses yeux en gouttant sur son visage.

— Et peut-on savoir pourquoi tu dois subir cette punition cruelle et inhabituelle ?

— Pour être honnête, je n’en suis pas sûr, répondit Belle en secouant la tête pour chasser les mèches qui grillageaient son regard. Mon père prétend que c’est parce que je connais le produit mieux que personne, mais c’est n’importe quoi. Ça fait des années qu’ils couvrent ce genre d’événement tous les trois, ils n’ont jamais eu besoin de moi jusqu’ici. Je ne sais pas ce qu’ils manigancent, mais j’imagine que je finirai bien par le découvrir une fois sur place.

— Connaissant ton père, ça risque d’être une mauvaise surprise…

Belle ébouriffa la crinière de feu dont Judy était fière, et à raison : elle était absolument magnifique.

— Et toi alors ma belle ? Comment tu vas ?

— Ça va, répondit-elle en fronçant un peu le nez. J’ai beaucoup de travail.

— Ton stage se passe bien ?

— Si on veut, répondit-elle avec un reniflement amusé. Ils prennent les stagiaires pour des esclaves. Mais tout le monde sait qu’il faut passer par là pour devenir un avocat digne de ce nom. Il faut simplement que je tienne bon, ajouta-t-elle, l’air préoccupé.

Belle l’examina attentivement.

— Tu es sûre que tout va bien ? J’ai l’impression que quelque chose te tracasse.

Judy haussa les épaules.

— Je dois prendre un rendez-vous important chez un docteur, mais je n’ai toujours pas de mutuelle.

— Je vais te donner de l’argent avant de partir.

— Non, répondit-elle automatiquement. Non, Belle. C’est gentil, mais je me débrouille. La personne que j’ai eue au téléphone m’a assuré qu’ils avaient des honoraires fixes et que la consultation ne me coûterait pas plus de cent dollars. Ne t’inquiète pas.

Sa voix était ferme, mais l’expression sur son visage anxieuse.

— Laisse-moi au moins te donner ces cent dollars. Inutile de puiser dans tes économies qui sont déjà quasi inexistantes.

— Tu peux parler. Aux dernières nouvelles, le salaire que te donne ton père n’est pas mirobolant, dit-elle en cognant doucement son épaule contre la sienne. Regarde-nous, la classe ouvrière.

— Moi au moins j’ai une mutuelle.

— Je sais…

Il sortit un billet de cent dollars de son portefeuille et le lui tendit. Judy l’accepta, le regard triste.

 

 

BELLE REGARDA par le hublot et sentit son cœur se serrer. Des kilomètres de terre sèche et aride s’étendaient à perte de vue juste en dessous de lui, et au beau milieu, l’îlot incongru et clinquant de Las Vegas. Toutes les fibres de son corps se rebellaient contre l’idée de ce voyage.

— Excusez-moi, monsieur, est-ce que je peux récupérer votre verre ? demanda une charmante hôtesse de l’air en lui souriant.

— Oui, bien sûr, dit-il en finissant son verre de jus de pomme à la hâte pour le lui rendre vide.

— Est-ce qu’il vous faudra autre chose ? demanda-t-elle en battant des cils.

— Non, merci.

Elle regagna son chariot, dans l’allée principale, mais lui lança un dernier coup d’œil par-dessus son épaule en chemin.

— Quel dommage que tu n’aimes pas les filles, déclara son père en lui tapant le genou. Je pense que tu avais une ouverture pour rejoindre le club très sélect des gens qui s’envoient en l’air avec une hôtesse de l’air.

— Papa voyons, moins fort !

Belle se pencha dans l’allée pour s’assurer que la jeune femme n’avait rien entendu. Son père s’était mis au champagne dès le décollage, et il était passé à la vodka à mi-chemin. Il était complètement ivre.

— Toute cette beauté, et toi tu préfères les hommes. Regardez-moi un peu cette jolie petite gueule, ajouta-t-il en attrapant Belle par le menton.

Belle ne broncha pas. Ça ne servait à rien quand il était dans cet état-là. Mieux valait le laisser faire et attendre que ça passe.

— Tu lui ressembles tellement, tu as pris tous ses meilleurs traits…

C’était surprenant qu’il s’en tienne là. D’ordinaire il ajoutait toujours quelque chose comme « Quel gâchis ».

Le couple assis dans la rangée d’à côté assista à la scène en lançant à Belle des regards compatissants, mais curieux. Que n’aurait-il pas donné pour disparaître à cet instant. Il aurait dû insister pour rester à la maison.

— Vous êtes prêts pour Vegas, les gars ? cria Ron à ses deux autres fils, Rick et Rusty, qui étaient assis juste derrière.

— Plus que prêts ! À nous les petites poulettes de casino ! répondit Rick, l’aîné de leur fratrie.

Rick était marié, et père de quatre filles, mais cela ne l’avait jamais empêché de chercher la compagnie d’autres femmes chaque fois qu’il était en déplacement.

L’avion amorça sa descente, et Belle ferma les yeux. Que seraient-ils tous devenus aujourd’hui si leur mère était encore en vie ? Leur père n’avait adopté tous ces vices qu’à partir du décès de sa femme, trois ans plus tôt. C’était un peu comme s’il cherchait à se rattraper après une vie entière passée sur le droit chemin. Assis à côté de lui, Belle pouvait presque le sentir vibrer d’impatience à l’idée des quelques jours de débauche que leur promettait ce séjour.

— Tout le monde a envie de passer un bon moment, Belle, lui rappela son père en attrapant son bras. Il va y avoir beaucoup de gens à cette convention, beaucoup de beaux partis. On te présentera les meilleurs, fais-nous confiance.

— Je n’ai pas besoin que l’on me présente qui que ce soit, répondit Belle, horrifié. Je suis venu ici pour le travail, rien de plus. Tout ce que je veux, c’est dévoiler notre nouveau produit, et rentrer chez moi le plus vite possible.

— D’accord, d’accord, l’apaisa son père sur un ton condescendant. Crois-moi, on va te laisser te dévoiler, ajouta-t-il avec un reniflement amusé.

Derrière eux, Rick et Rusty se mirent à ricaner.

Belle tourna de nouveau la tête vers le hublot pour contempler l’étendue de sable qui se rapprochait lentement. Il avait un mauvais pressentiment.

Lorsque les roues de l’avion heurtèrent le tarmac, leur premier réflexe à tous fut de rallumer leurs téléphones portables. Belle parcourut rapidement sa boîte mail, mais il n’avait aucune nouvelle de Colin. Visiblement, le labo s’en sortait très bien sans lui.

— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? s’emporta son père.

— Que se passe-t-il ?

Ron jeta un regard à Belle, et cette lueur qu’il avait appris à détester traversa ses yeux, cette lueur maligne de toxicomane prêt à tout pour sa prochaine dose.

— Rien qui ne te concerne. Un rendez-vous que je n’arrive pas à fixer, c’est tout.

Il composa un numéro, porta le téléphone à son oreille, et tourna le dos à Belle.

— Comment ça, impossible ? cria-t-il dans le combiné. Je m’en fiche, faites ce qu’il faudra, mais je veux…

Il s’interrompit, lança un nouveau regard furtif à Belle, et se tourna davantage.

— Je veux ce rendez-vous, vous m’avez compris ?

Il raccrocha dans un geste d’humeur. Qu’est-ce que tout cela signifiait ?

— Non mais regardez-moi ça, siffla Ron en pointant du doigt quelque chose à travers le hublot.

À quelques centaines de mètres, un autre avion venait d’atterrir, un superbe jet privé à la ligne élégante, sur lequel on pouvait lire « Beauty Inc. ».

— Vous avez vu ça, les gars ? lança Ron par-dessus son siège.

— On a vu, papa, répondit Rusty. L’ennemi vient d’atterrir lui aussi.

— Cet enfoiré de Magnus Strong, murmura Ron sur un ton à la fois admiratif et calculateur. C’est un beau coucou qu’il a là, je voudrais bien le même.

 

 

BELLE PRIT le temps de déballer sa valise, et d’accrocher soigneusement ses costumes dans l’armoire de la chambre d’hôtel. La vue était impressionnante, il devait l’admettre. Sa chambre surplombait le Strip, probablement la seule partie de Las Vegas qui pouvait être qualifiée de belle. Malgré cela, toutes les cellules de son corps appelaient la verdure comme s’il était en manque. Les forêts et les lacs de l’Oregon lui manquaient déjà.

Il s’assit sur le bord de son gigantesque lit, et parcourut la chambre du regard. Au moins, il pourrait toujours venir se réfugier ici lorsqu’on n’aurait plus besoin de lui sur le stand. Son père et ses frères avaient réservé une suite avec deux chambres à l’étage juste en dessous. Ils prétendaient avoir demandé une suite assez grande pour qu’ils puissent être tous ensemble, mais avoir réservé trop tard, et s’être retrouvés obligés de prendre une chambre à part pour Belle. Il n’était pas dupe, il savait très bien qu’ils ne voulaient pas l’avoir dans les pattes alors qu’ils prévoyaient de profiter de tous les plaisirs que ces quelques jours promettaient de leur offrir. Belle ne s’en plaignait pas, il préférait de loin ne pas savoir ce dont ils étaient capables. Il se sentait un peu déphasé et ne savait pas par où commencer. Peut-être devrait-il aller jeter un coup d’œil à l’installation du stand. Ensuite il pourrait rentrer, commander au room service, trouver un film sympa à regarder et passer une soirée tranquille.

Son portable se mit à sonner sur la table de nuit. Belle s’en saisit et regarda l’écran en réprimant une vague de déception. C’était Rusty, pas Colin. Il décrocha.

— Hey, petit frère. Viens passer la soirée avec nous, on va manger un bout et faire un tour au casino.

— Je voulais d’abord passer voir le stand.

— Bonne idée. Rejoins-nous après, on va aller boire un verre en t’attendant.

Belle s’apprêta à répondre que ce n’était pas la peine, puis se reprit. Pour une fois qu’ils l’incluaient dans leurs plans, il pouvait peut-être faire un petit effort.

— Très bien. Où est-ce que je vous retrouve ?

Il lui sembla entendre son frère étouffer un ricanement.

— Au bar, dans le hall d’entrée.

Rusty raccrocha, et Belle fronça les sourcils. D’où leur venait cette envie soudaine de passer du temps avec lui ? Il se secoua, attrapa son jeu de clés, quitta l’hôtel et partit à la découverte de leur stand.

En apercevant les cartons empilés, remplis du petit flacon de crème flambant neuf, son moral remonta instantanément. Ils n’avaient qu’un stand d’une dizaine de mètres contre le mur cette année, mais l’année suivante, si tout allait bien, ils auraient une estrade centrale. Jaime Terazzo, leur responsable des ventes sur la côte Ouest, l’accueillit en passant un bras autour de ses épaules.

— J’ai entendu dire que vous aviez du lourd à présenter cette année. Quand est-ce que j’interviens ?

— Très bientôt. Mais il nous faut d’abord un avis client. Continuez à faire profil bas pendant encore quelques semaines.

Jaime gonfla les joues et poussa un soupir exagéré.

— Ça ne va pas être facile, Belle. Mon équipe a entendu parler de votre nouvelle petite crème miracle, et ils veulent une part du gâteau. Leur marge d’affaires a presque été réduite à néant avec la sortie de la dernière ligne de produits de Beauty Inc. Il nous faut quelque chose pour contre-attaquer, et vite.

— Je sais, mais il va encore falloir patienter un peu et faire comme si mon père ne vous avait pas vendu la mèche six mois trop tôt.

— Ton père a fait ce qu’il a jugé bon de faire pour ne pas perdre ses équipes de vente, répliqua Jaime en haussant les épaules.

— Plus que quelques semaines, je vous le promets. Si on précipite les choses maintenant, on risque de gâcher toutes nos chances de réussite. Faites-moi confiance. Si tout le monde est patient, ce nouveau produit a le potentiel de marcher au-delà de nos espérances. Je dois y aller, conclut-il en jetant un œil à sa montre. Respirez un grand coup, tout va bien se passer.

Il quitta le hall d’exposition et regagna l’hôtel à pied. Il n’était pas très loin et l’exercice lui ferait du bien. Il n’avait pas l’habitude de gérer les complaintes et les inquiétudes des équipes de vente, ce n’était pas son travail, mais son père et ses frères étaient bien trop occupés à tester toutes les distractions de Las Vegas pour penser à ces choses-là. Il commençait à comprendre un peu mieux pourquoi son père avait insisté pour qu’il vienne.

En entrant dans le hall de l’hôtel, il grimaça, tous ses sens assaillis par le mélange étourdissant d’air climatisé trop froid, de musique trop forte, du vacarme des machines à sous, et des centaines de personnes qui se bousculaient. Il chercha désespérément le bar. Lorsqu’il le trouva enfin, il se demanda dans quel état d’ébriété il allait trouver le reste de sa famille. Après tout, il s’était absenté moins d’une heure.

Il se fraya un chemin à travers la foule, et entra dans la salle de bar. Il donna son nom à l’hôtesse d’accueil, qui le dirigea vers une table, tout au fond de la salle. Belle prit une grande inspiration. Peut-être que tout allait bien se passer.

Lorsqu’il approcha de leur table, Rick redressa la tête et lui fit signe. Rusty se pencha pour le voir, et leva son verre dans sa direction. Très bien, ce ne serait donc pas une soirée sobre, mais peut-être qu’il passerait quand même un bon moment. Lorsqu’ils étaient petits, ses deux grands frères ne l’avaient jamais vraiment intégré, alors parfois, ils tentaient maladroitement de se rattraper.

Belle arriva enfin derrière la banquette de leur table, et se figea. Assis à côté de leur père, se tenait un séduisant cinquantenaire, avec des cheveux argentés, parfaitement coiffés. Il avait un long nez fin, des yeux clairs, et un immense sourire étrange qui fit vaguement penser à Belle « C’est pour mieux te manger, mon enfant ».

Belle frissonna.

Son père se leva, autant que faire se peut, coincé sur la banquette entre Rick et leur invité surprise. Rusty était quant à lui assis à côté de Rick, ce qui ne laissait bien entendu à Belle pas d’autre choix que de s’installer à côté de leur hôte.

— Belle, je te présente Eric Kleinschmidt. Eric est un investisseur dans le milieu des cosmétiques, il avait hâte de te rencontrer.

Belle pinça les lèvres et dit adieu à son rêve de passer un simple dîner sans histoires en famille.

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